Être ou ne pas être gitan
Pièce en quatres actes d'Alexandre Romanès en collaboration avec Benjamin Barou-Crossman

« Pourquoi j’ai écrit ? L’écriture n’est pas une tradition gitane. La poésie me semblait trop haute pour moi, inaccessible, et puis la vie je voulais la vivre, pas l’écrire. Je m’étais fait une raison, mais pas le ciel. […] Ce que je sais, c’est qu’il y a des poètes que j’admire. Peut-être que je n’ai pas supporté de les voir passer. J’ai voulu être l’un des leurs.»
Paroles perdues, Alexandre Romanès

Naissance d'un spectacle
La tâche que l’on se donne, avec Alexandre, pour cette pièce, c'est d'inaugurer un théâtre gitan.
Alexandre n'est pas dans une culture de l’écrit, il me dit souvent : « Je n'ai jamais écrit assis à une table. » Il écrit ses poèmes debout en montant son chapiteau, il ne peut pas faire autrement.

   
Être ou ne pas être gitan, au cirque Romanès à Paris.

La spécificité et l'originalité de notre pièce, Être ou ne pas être gitan, c’est que nous ne pouvons pas la faire assis à une table. Elle doit s’écrire en situation, avec les comédiens, lors des répétitions : c’est le souhait d'Alexandre Romanès qui sera avec nous pendant toute la durée des répétitions. Je sais que le réalisateur Tony Gatlif écrit ses films de cette manière aussi. Il donne aux acteurs le texte de la scène qu’ils vont tourner le jour même, texte qui s’écrit et se modifie en fonction des répétitions de la veille. Lors d'une première session de travail (quinze jours), nous nous appuierons sur la trame que nous avons préparée avec Alexandre pour terminer l’écriture de la pièce, avec et en présence des comédiens eux-mêmes. La deuxième session des répétitions durera environ quatre semaines. Lors de la première session, la pièce s’écrira donc avec la participation collective des comédiens (improvisations, écriture collective autour de la table). Le théâtre gitan est un art de l’éphémère, du présent, du collectif. C’est ce qui en fait la beauté et la richesse car il me semble que les temps présents demandent de réinventer l'art, l'écrit qui s'est trop éloigné de la vie, de l'expérience. Les Tsiganes n'ont jamais séparé leur art de leur vie de tous les jours. Il faut recréer une écriture chargée d’oralité, avec un mélange de genres – texte, cirque, danse, musique – une pleine utilisation de la langue tsigane qui ne se limite pas à la parole. L'oralité passe par des êtres vivants, des corps, des chairs. Elle porte cette plénitude, cette amplitude, cette puissance. Suite au travail que j’ai effectué sur la pièce de Romanès, d'abord en juin 2011 au Cirque Romanès à Paris, puis en janvier 2012 au Conservatoire de Montpellier, et aux différents retours sur ce travail, Alexandre et moi avons décidé de reprendre la trame de la pièce. Voici cette première mouture que nous vous proposons, que nous avons construite à partir de notre vécu commun. Être ou ne pas être un gitan, c'est l’histoire de la rencontre entre Balthazar, un jeune Français, le seul non gitan de la pièce, en pleine déprime à Paris et les Ratapus, une famille tsigane, circassienne.
Les Ratapus vivent sur un terrain vague, Porte Champerret, mais les autorités françaises leur ont donné une semaine pour quitter les lieux, prétextant qu’Irina, la directrice du cirque et gitane roumaine, n’a pas ses papiers. Le sujet est grave, politique, moderne, mais c’est aussi une pièce pleine d’humour et de malice.

Deux histoires se mêlent : celle d'un peuple – qui dans ses fondements mêmes pose problème au modèle dominant de la vie occidentale – et celle d'une famille qui se débrouille, avec ses contradictions, ses drames, ses failles, son génie comme tous les autres peuples sur terre.
Être ou ne pas être un gitan, voilà bien le dilemme qu'ont incarné les jeunes Indignés surgis un peu partout dans le monde ces derniers mois :
Comment continuer à être gitan dans la société contemporaine, en rupture avec tous les grands schémas de pensée et de pratique modernes?
Comment survivre en portant ces valeurs que sont le nomadisme, l'art comme pratique quotidienne, l'éphémère, le collectif, la générosité, la dépense ? Comment intégrer ces valeurs à notre monde sans se compromettre mais sans pour autant retourner à un passé révolu ?
Bref, comment passer de la tradition au futur, comment faire triompher la part d'universel que portent aujourd'hui – peut-être les derniers dans notre monde – les Gitans ?


Karine Gonzalez, une des interprètes de la pièce.


Alexandre Romanès & Benjamin Barou-Crossman au Printemps des comédiens à Montpellier en Juin 2011.